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19
02
2009

Une chambre en Hollande - Pierre Bergounioux

1 chronique recensée

Liste des chroniqueurs sur ce sujet :

 

Une chambre en Hollande,

De Pierre Bergounioux

Disponible chez Verdier

Une chambre en Hollande - Pierre Bergounioux
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Biographie restreinte mais biographie du philosophe Descartes, limitée à une période courte, celle où René Descartes souhaite faire imprimer ses écrits et pour cela choisit la Hollande. L'auteur prend le lecteur par la main et brosse à grands traits fulgurants l'histoire de l'Europe, des cohortes de César à nos jours. C'est érudit, savant, et formidablement écrit. Comme devant les écrits brillants, sitôt lu l'envie vous assaille de reprendre du début (...)

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Note : 3.8/5 (5 notes)


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une lecture du livre de Pierre Bergounioux

UNE CHAMBRE EN HOLLANDE
 
Une lecture du livre de PIERRE BERGOUNIOUX
 
                        Il est une fois, autour du dix-septième siècle, un jeune soldat volontaire, aventurier, franc-tireur, mais sans le caractère belliqueux du combattant ou les motifs pécuniaires propres à certains mercenaires.
                        Ce curieux homme d’épée que sa fortune rend libre, indéterminé, « sourd à l’appel de la philosophie », désire-t-il se coltiner la réalité, s’éprouver, ou aime-t-il la guerre sous l’effet de « la chaleur de l’âge » ?
                        Pourtant, par un revirement inattendu, il va, peu après, faire rendre raison à la connaissance en la soumettant une fois pour toutes à sa seule existence et bouleverser beaucoup plus tard la vie de celui qui écrit maintenant.
 
 « Que peut-on savoir d’un homme aujourd’hui ? »
Cet homme s’appelle Descartes et, ce qui peut, à première vue, s’apparenter à un récit d’aventures ou à un roman d’apprentissage, constitue le nouvel acte de liquidation de Pierre Bergounioux par lequel il met au clair sa relation avec cet ancêtre capital. Partant du constat que « n’importe quel sol ne produit pas n’importe quoi »[1], Pierre Bergounioux s’interroge sur les conditions socio-historiques de l’apparition du « cartésianisme » en appliquant la méthode du maître : distinguer le vrai du faux, « embrasser les opinions qui nous paraissent les plus vraisemblables… afin que… nous ne soyons jamais irrésolus. »[2], prendre parti enfin.
            Ne connaissant rien de Pierre Bergounioux excepté quelques-uns de ses livres, hasardons l’hypothèse qu’il était prédestiné à écrire ce livre ; en effet, qu’un écrivain lettré soit marqué dès son plus jeune âge par un philosophe « que son goût portait…vers la poésie » et dont « la philosophie…possède les qualités qu’on tient habituellement pour littéraires »[3], qu’un intellectuel érudit scrute la vie d’un exilé qui « s’éveille à lui-même, à la possibilité proprement inouïe de penser autrement… », ne relève-t-il pas du nécessaire ? Mais est-ce seulement un livre de reconnaissance et d’admiration ?
 
« Ce monde est donné à l’homme ainsi qu’une énigme à résoudre»[4]
            Après avoir condensé quelques millénaires d’histoire occidentale en une poignée de pages, et parvenu à la conclusion qu’une civilisation esclavagiste détermina le développement de l’écriture, puis que cette dernière fut inféodée aux dogmatismes politiques et religieux, l’écrivain, non sans avoir fait avec nostalgie, l’oraison de la langue celte originelle, entre avec circonspection dans le cursus du philosophe, de ses années d’errance à l’élaboration du Discours de la méthode dans sa chambre de « dégrisement » hollandaise.
 
« Ce qui est productif, c’est justement la voie, c’est là l’essentiel, le devenir est au-dessus de l’être. »[5]
            Tout part du « désenchantement du monde », quand un certain Don Quichotte se voit pitoyablement corrigé par les faits, lorsqu’un nommé Hamlet, ne pouvant plus ignorer la réalité, ne sait pas quelle arme choisir pour l’affronter, quand la magie est rompue et que la question de savoir qui nous sommes ne dépend plus d’un acte unilatéral de soumission, d’oblation, de prière, mais d’un mano a mano où il n’y a pas d’autre adversaire que soi-même. Alors, la philosophie comme la littérature entrent  de plain pied dans la réalité.
            Pierre Bergounioux mène l’enquête dans une promenade érudite, file puis perd son individu, s’infiltre dans son intellect, autopsie les anecdotes, conjecture, puis grâce à un indice, extrapole et développe une thèse. Mais le plus souvent, le détective s’interroge, hésite, se réjouit d’une hypothèse plausible et prouve à chaque page que le doute est d’abord un exercice de style dans lequel il excelle lui-même.
Le livre nous dévoile en effet un Descartes qui avance constamment masqué, écrit en français et répudie le latin, la langue des« doctes », – le français est la langue du Droit et de la justice depuis près d’un siècle, cependant – ne signe pas son oeuvre et qui plus est, la publie en Hollande. C’est la stratégie la plus sûre quand on sait que le but du philosophe ne consiste pas moins qu’à élaborer « une méthode infaillible pour parvenir à la vérité… », et qu’il n’ignore pas que peu d’années avant, Galilée lui aussi fut menacé par l’Inquisition. « Bon secret, bonne vie » était une devise du philosophe.
Or, c’est au « dieu noir », au « mauvais génie » que Descartes fait face, les puissances de la déraison veillent autour de sa pensée pour reprendre l’expression de Foucault et, dans certains passages, Pierre Bergounioux semble insinuer que Dieu n’a pas attendu Nietzsche pour mourir, Descartes s’en étant chargé.                                                       Pierre Bergounioux, lui, ne cherche  pas La vérité – après tout, la « clarté » à laquelle aspire l’écrivain n’est-elle pas avant tout une « répartition appropriée d’ombre et de lumière »? - mais donne sa version du « roman exact… que Descartes compose sous nos yeux », ce travail d’oscillation perpétuelle entre l’illusion et le réel au milieu duquel naît, dans un fragile équilibre, la raison  et en filigrane, l’auteur reconnaît la filiation de son œuvre à ce roman des origines.
           
 
                                                           Jean Guy PECRESSE


[1] Abbé Dubos
[2] Descartes, lettres à Elisabeth, août et septembre 1645
[3] Bergounioux P., Bréviaire de littérature à l’usage des vivants, Ed. Bréal, 2004
[4] Bataille G., L’expérience intérieure, Ed. Gallimard, 1954
[5] Klee P., Carnets

jean guy pecresse - 09.04.09 à 16:09 - # -

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